Portrait – Patrick Hervier : histoire de confection

Notre petit stock de tissus chez DPL. 

Patrick Hervier : histoire de confection

Patrick Hervier est un spécialiste du prêt-à-porter haut de gamme. Sa vocation puise son origine dans son histoire familiale dont la confection sert de fil rouge depuis 1910. Il a construit son entreprise, DPL Hervier, avec sa femme, Véronique ; leur fille, Marion, pense déjà à prendre la relève. Si l’histoire de Patrick Hervier se prête ainsi à un storytelling bien romancé, en réalité, le speech est inutile. Le soin porté au vêtement suffit à faire venir les grandes marques de mode dans les ateliers de cette 4e génération dévouée au vêtement. C’est donc bien avisés qu’Alice et Adrien se sont tournés vers cet homme de métier pour la mise au point de leurs pièces en coupé cousu — la chemise, la jupe, le trench, le pantalon, etc.


La conversation téléphonique dont est issu cet article a duré une heure, mais elle aurait pu se poursuivre bien au-delà. Car discuter avec Patrick Hervier, c’est prendre plaisir à basculer de l’autre côté de la mode et obtenir ce que beaucoup de personnes du milieu cherchent à offrir : de la transparence. Enfin, ce fut une leçon passionnante sur l’histoire contemporaine de la confection, elle devrait permettre à tous et à toutes de mieux comprendre le système de la mode actuelle.

Bienvenue à Châtillon-Sur-Indre, chez DPL.

RÉUNI : Quel regard porte-t-on sur la mode quand on a trente ans de métier comme vous ?


PH : Aujourd’hui on se pose beaucoup de questions. Il y a notamment eu ce récent reportage sur Arte [Fast fashion : Les dessous de la mode à bas prix] qui ne met pas vraiment en avant notre profession. Mais l’analyse a été bien faite. Ces trente ans correspondent à une accélération.


Historiquement le marché se composait de créateurs et de la haute couture qui proposaient des collections aux magasins multimarques. Ensuite le prêt-à-porter est arrivé et de nombreuses marques ont émergé notamment dans le Sentier parisien. La plupart de ces marques vendaient aux détaillants multimarques qui venaient se ravitailler tous les lundis. Parmi elles, certaines ont souhaité développer leur propre réseau de distribution, comme Naf Naf, ou Celio.


L’étape suivante fut l'arrivée de gros distributeurs — Inditex, H&M, Fast Retailing, etc. — qui a accéléré la création de collections et le nombre de points de vente afin de produire en gros volumes pour réduire les prix. C’est à ce moment-là qu’il y a eu l'accélération. Face à une mode qui était au départ un peu sélective en termes de prix, on s’est mis à diffuser des produits à bas-prix. C’est pour cela qu’il y a eu une telle augmentation de la production de vêtements.

R : Et votre point de vue sur tout ça ?


PH : On peut avoir plusieurs regards là-dessus. Celui de l’industriel par exemple. Après les 30 glorieuses, il y a eu une très grosse consommation de vêtements et donc l’installation de beaucoup d’unités de production, souvent en milieu rural. C’était quelque chose de bien, parce qu’on assistait à une réduction du monde agricole donc les gens « se transféraient vers l’usine », on allait travailler dans ce qu’on appelait des unités de production industrielles. Cela a créé des activités rurales importantes — il s’agit encore-là du créneau de la mode disons « classique ». Puis, avec l’arrivée de ces gros diffuseurs, ces gros mastodontes qui cherchaient du prix, du prix, du prix et bien, malheureusement, toute cette économie s'est écroulée, pour des raisons de coût de main-d'œuvre. Parce qu’on s’est rapidement aperçu que c’était facile d’aller faire produire très loin. Au départ, ça a affecté les usines et petit à petit, les fournisseurs. Toute la filière a quasiment disparu en France, globalement en Europe occidentale. Entre 1990 et 2000, il y a eu un accélérateur phénoménal qui correspond au firmament du développement de Zara, H&M etc.

Adrien, Alice et Patrick : on regarde l'avancée de nos prototypes.

Depuis grosso modo les années 2010, il y a une remise en cause de tout ça, avec une analyse plus pertinente du produit. On se demande pourquoi aller produire aussi loin et comment est-on arrivé à de tels niveaux de prix. Certains se sont aperçus des opportunités d’aller acheter des produits pas chers et ont conservé un niveau de vente très élevé. Ces gens-là ont des coefficients de 10, 12 voire 15 sur des produits qu’ils vendaient 120 ou 150, et ça ne posait pas de problème parce qu’ils étaient au prix du marché. Ils avaient trouvé la combine. C’est là où de nouveaux acteurs sont arrivés : je pense notamment à des créateurs qui se sont dit « je peux vivre correctement avec un coef’ 3 en le vendant en direct via le net » — le net a beaucoup aidé au retour du Made in France. Je pense qu’il y a une volonté intellectuelle, on le voit avec des jeunes comme Alice et Adrien, il y a une volonté de retour à des valeurs un peu plus réalistes et celle de pouvoir suivre les produits.


Voilà le regard. De bonnes choses sont en train de se faire donc tant mieux. Après, je pense qu’il faut que les gens soient un peu moins consommateurs de n’importe quoi et analysent un peu leur mode de consommation. Mais c’est vrai qu’il faudrait inciter la création à rester [en France]. On a besoin de garder nos savoir-faire. C’est exactement le tempo que font Adrien et Alice. Ils passent par un modéliste et ensuite on met au point le vêtement. Une partie de leur production est faite en Europe de l’Est mais au moins ils sont passés par une entreprise française et ils vont maintenir un outil de production et un savoir-faire en France.


Si aujourd’hui toutes les boîtes de prêt-à-porter françaises faisaient 10 pour cent de leur chiffre en France, je crois qu’on rembaucherait peut-être 500 000 ou 600 000 personnes, ça serait énorme. Aujourd’hui il n’y a peut-être même pas 1 pour cent qui est fabriqué en France.

« Le net a beaucoup aidé au retour du Made in France »


R : Êtes-vous confiant dans l'avenir des marques responsables comme RÉUNI ?


PH : Oui bien sûr, j’y crois. On est relativement confiant sur des marques comme Réuni et c’est pour cela qu’on les accompagne. Moi je crois tout à fait à ce système de fonctionnement. Après, c’est sûr que par rapport à une marque établie façon ancienne méthode, il est vrai que pour un industriel cela peut être un peu effrayant parce qu’il peut se demander comment faire des quantités s’il n’a pas un réseau avec X magasins. Mais on sait qu’aujourd’hui que cela fonctionne. Il y a donc une forte confiance mutuelle ainsi que dans leur réseau d’acheteurs qui suivent la marque. Lorsque vous passez par hasard devant une boutique, vous pouvez vous dire « ce pull est canon, je rentre, je me l’achète » alors que sur le net, la difficulté est de créer l’incitation à l’achat. Il est donc nécessaire qu’il y ait une confiance mutuelle qui s’instaure et c’est le cas avec Réuni. Peut-être que cela ne serait pas le cas avec d’autres marques.

R : Justement, racontez-moi un peu votre collaboration avec Alice et Adrien.


PH : Ce qu’on a ressenti tout de suite en les rencontrant, c’est leur simplicité. Alors que dans l’ancien milieu — quoi que cela est encore parfois le cas aujourd’hui — les gens se prenaient pour des stars. Et puis ce qui nous a bien plu, c’est leur approche produit. Ils ont démarré avec un côté très professionnel. Leur développement, ils l’ont fait en cherchant, en se faisant conseiller, en s’entourant tout de suite de pros. Par exemple, la démarche du modélisme, du patronage, passer par un pro [Michael Gunther], ça, je vous avoue que 9 fois sur 10, on ne le voit pas.

Nos prototypes de Jupe et de Pantalon.

R : Concrètement, quel service fournissez-vous à RÉUNI ? 

PH : Ils arrivent donc déjà avec un patronage. Ce qui est extrêmement rare. Même aujourd’hui chez les plus grandes marques. On voit qu’ils essaient de construire quelque chose, de voir ce que cela donne au niveau du volume avant de dire « on industrialise ». Il y a donc une réflexion. Si je me pose en tant que fournisseur pour Réuni, en faisant abstraction de la sympathie que l'on peut avoir pour Alice et Adrien, je dirais que j’ai déjà une part de respect parce que je vois qu’ils arrivent avec un certain professionnalisme. C’est important et cela améliore énormément le climat de confiance. 

On reçoit donc le patronage de base, suite à quoi on réalise un prototype en tâchant de coller le plus près possible à leurs souhaits. On essaie de traduire sur le tissu l’objectif qu’ils ont à l’esprit, faire en sorte que cela soit le plus parfait possible dès le premier coup, de façon à leur faire gagner du temps et de l’argent. Car dans ce métier, tout est un problème de temps.

« Il faut être le plus respectueux des valeurs de couture »

R : Aujourd'hui, le terme de durabilité veut un peu tout et rien dire, tant on l'emploie à tort et à travers. Concernant la mode, quelle définition lui donnez-vous ? 


PH : En termes de produit, cela comprend la recherche de matières qui atteste d’une certaine qualité. Le marché a tellement été entraîné vers la spirale du bas que depuis une dizaine d'années, on est vraiment confronté à des matières de piètre qualité. Et je vous avoue qu'aujourd'hui il y a des industriels qui se frottent les mains : ce sont ceux qui font de l’ennoblissement et de la stabilisation de tissus. Il faut voir le nombre de mètres de tissus que l’on envoie chez ces industriels qui sont équipés pour stabiliser ou thermocoller les tissus.

Par exemple, un 100 pour cent laine à 10 euros le mètre, dont la matière est inutilisable dans l’état, doit être envoyé chez quelqu’un qui thermocolle et qui va reprendre 3 euros le mètre. Il aurait donc mieux valu l’acheter à 13 ou 14 euros, au prix normal, plutôt que de faire des aller-retour pour le stabiliser. 


La première démarche est donc déjà de trouver des fournisseurs qui fabriquent des produits nobles avec un cahier des charges clean. Ensuite, il y a la durabilité des accessoires que l’on va y mettre. Qu’il s’agisse des zips, des boutons, des duvets, des doublures etc. 

Après, vient la confection. Il faut être le plus respectueux des valeurs de couture, des types de montages, une cassure, une solidité dans le temps pour le consommateur. Ces deux éléments sont, je dirais, les facteurs principaux pour la durabilité d’un produit. 


Après, le troisième facteur qui est peut-être un peu moindre, c’est le style. Il ne faut pas que le produit soit trop marqué parce qu'autrement il va correspondre à une époque ou un moment et il va être difficile de le porter X années de suite.


R : Vous êtes dans le métier depuis longtemps. Concernant la mise au point des modèles entre aujourd'hui et il y a 20 ans, quelle différence y a-t-il ? 


PH : Il n’y a pas grand chose qui a changé. Si ce n’est qu’il y a certaines tâches qui se faisaient avant à la main et que l’on fait à présent avec des machines, comme des boutonnières. La grosse révolution c’est la coupe que l’on peut aujourd’hui faire avec une machine. Mais sinon, pour le montage classique il faut toujours une personne assise derrière une machine. Il y a une amélioration dans l’ergonomie, dans le bruit surtout, mais hormis la technique de base, l’assemblage reste le même.

On assiste tout de même à quelques grosses évolutions comme le thermosoudage pour les articles de sport. Cependant, dans la confection, on voit, sur certains points, un retour en arrière. Par exemple, concernant le jean on ne faisait plus de selvedge parce que c’était trop long à faire et que ça coûtait trop cher, mais à présent tout le monde en fait. On revient aussi à des coutures rabattues, on reprend de vieux basiques que l’on travaille.

R : Pour terminer, sur quelle pièce RÉUNI avez-vous le plus aimé travailler ?


PH : Curieusement on aime bien travailler toutes les pièces, parce qu’elles ont toujours une petite particularité. Pour l’instant, on en a fait cinq et c’est agréable. Cela n’est pas du prêt-à-porter standard. Il y a toujours une petite touche qui montre la recherche sur un point bien précis.

Portrait réalisé par Julia Garel pour RÉUNI

Crédit photo : Benoît Auguste

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