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Michael Gunther : modéliste par vocation

Michael au Studio Berçot.

Michael Gunther : modéliste par vocation

Notre discussion s’est déroulée un samedi matin. Une interruption d’une heure qui a poussé Michael Gunther à poser ciseaux, crayons et toiles pour nous parler de mode, de son métier et de sa collaboration avec RÉUNI. Celui dont on dit qu’« il ne s’arrête jamais », attaquait le week-end sans différence aucune avec un lundi, finalisant des projets, s’engageant dans d’autres ; dès la fin de notre conversation, il reprendra son travail là où il l’avait laissé. Michael est modéliste, il enseigne au Studio Berçot et exerce en tant qu’indépendant pour de grands noms du luxe (Chanel, Hermès, Off-White…). Il nous confie jongler avec environ sept jobs en même temps. « Mes nuits peuvent être agitées » plaisante-t-il. Artisan d’une belle famille de pièces RÉUNI, il sait aussi combien il est précieux de savoir dire « non » pour ne se concentrer que sur des projets qui nourrissent sa vocation et la maintiennent à l’état de passion.

La toile de la Chemise en Popeline.

Premier essayage de la toile du Pantalon.


Michael nous a parlé de ses élèves, du fonctionnement de RÉUNI, de mathématiques et de la réalité des tailles dans la grande distribution. Son métier a la beauté de ceux qui se situent aux prémices d’une création, lors de ses étapes de tâtonnements, quand l’imaginaire du styliste devient cette matière protectrice que nous enfilons chaque matin. Et alors que se déroulait une nouvelle Fashion Week entièrement digitale, notre discussion nous a rappelé combien la mode est avant tout une affaire d’objets tactiles qui ne vivent que pour être portés et touchés.

Essayages dans le bureau de Michael.

« Il n’y a rien d’acquis dans le métier de modéliste. »


RÉUNI : Est-ce qu’aujourd’hui, après toutes ces années de métier, vous continuez encore à apprendre ?


Michael Gunther : Oui, avec le métier de modéliste, chaque modèle est l’occasion de se remettre en question. Il y a toujours des difficultés supplémentaires. Pour faire un manteau, si on le coupe dans trois matières différentes, automatiquement les problèmes seront différents. Il n’y a rien d’acquis dans le métier de modéliste.


R : Vous transmettez votre savoir-faire au sein d’une école de mode. Quel professeur êtes-vous ?


MG : Je suis en effet enseignant depuis 18 ans au Studio Berçot où j’exerce en tant que professeur de coupe et couture et transmets un savoir artisanal.


Le Studio Berçot est une école de stylisme. Les élèves ne viennent pas en premier lieu pour apprendre la technique, ils viennent pour faire de la mode. Je les accompagne donc dans leur création. Le cours technique est un cours qui peut être laborieux parce qu’en arrivant, les élèves pensent que le vêtement va se faire rapidement alors que c’est quelque chose qu’on remet énormément sur la table. Même moi, en tant que professionnel, pour certains modèles, je peux parfois refaire ma toile deux, trois, quatre fois parce qu’il y aura des points techniques, des difficultés, mais également les points de vue du styliste. Il va me donner des directions et au final on va se rendre compte qu’il y a des choses qui ne marchent pas. Cela peut donc être parfois, et de ce point de vue là, un travail laborieux.

Les mains de l'artiste. 

R : Êtes-vous exigeant ?


MG : Forcément. Le modélisme est un métier exigeant. Il y a un peu de mathématiques, beaucoup de géométries et une certaine forme d’intuition. Je travaille au millimètre près.


R : J’imagine que pour être modéliste il faut aussi savoir écouter… 


MG : Complètement. Pour chacun de mes clients, j’essaie de me fondre dans leur univers. Mais je travaille sur des choses avec lesquelles je sens qu’il y a une affinité. J’aime effectivement le workwear, les choses structurées, faire des « boîtes », le vêtement masculin chez le vêtement féminin... Donc, forcément, je travaille avec des gens avec qui je sens qu’il peut y avoir une corrélation.

Il s’agit aussi d’écouter les désirs du styliste qui ne sont pas forcément très clairs tout le temps [rire]. Les citations de Loïc Prigent sont de bons exemples pour moi : « je veux quelque choses de long, mais un peu court », « je veux que ça soit large mais près du corps ».

Premier essayage de la toile du Manteau en drap de laine avec vous.

R : Il y a quelques semaines, nous avons échangé avec la styliste Alice Roca et elle a qualifié les pièces RÉUNI d’une grande justesse. Comment comprenez-vous ici le terme de « justesse » ? Et d’où cette « justesse » vient-elle ?


MG : Je l’entendrais à plusieurs niveaux : « justesse » au niveau de la coupe mais aussi au niveau du style et ça, ça vient d’Alice, la styliste de RÉUNI. Elle essaie de faire des choses intemporelles, des choses que l’on pourrait ressortir dans dix ans et qui fonctionneraient toujours, tout en gardant une identité propre.


Concernant la justesse au niveau de la coupe, il faut dire que RÉUNI a un fonctionnement un peu nouveau pour moi. J’ai l’habitude de fonctionner en travaillant par exemple sur une taille 38 et en faisant les essayages sur un mannequin cabine qui a le corps « idéal », tandis que chez RÉUNI on va dès le départ faire des toiles à patron en essayant sur un panel. On travaille en faisant en sorte que ça aille à un maximum de femmes, on tient compte du fait que chaque corps est différent, ce qui est une réalité du marché, un vrai challenge : un corps peut faire un 36 en tour de poitrine et un 42 en bassin par exemple.


R : Cette notion de tailles serait intéressante à creuser...


MG : Ce que vous voyez parfois sur certains défilés de luxe va ensuite être refait, il y a ce qu’on appelle une « normalisation ». Dans un défilé, un vêtement qui n’a pas de pinces poitrines, en aura peut-être quand il sera en boutique. On refait tout pour remettre sur un corps qui reflète plus la réalité.

Dernières vérifications de la patte de boutonnage si particulière de la Chemise en Popeline.

R : Pour en revenir au sujet de la grande distribution, quel regard portez-vous sur les vêtements qui y sont proposés ?


MG : J’ai 48 ans maintenant. Petit, j’ai le souvenir de ma mère qui faisait tous mes vêtements, on avait encore des couturières de quartier. L’industrie de la mode a énormément changé. En effet, une majorité de ses consommateurs préfère acheter des vêtements en quantité et à un prix très abordable. Je vais être honnête, je n’achète pas vraiment chez H&M ou chez Zara. Je m’achète par exemple des pantalons Comme des Garçons parce que je sais qu’ils vont me durer des années, voire toute ma vie, mais aussi parce que je sais ce qu’il y a derrière toute cette industrie.


Aujourd’hui, en tant qu'indépendant, si je travaille avec une marque comme RÉUNI, c’est justement parce que je ne veux plus avoir cette pression perpétuelle, même si je l’ai quand même un peu. Ces rythmes de mode deviennent insupportables. Il y a quand même beaucoup de gens, dans certaines maisons, qui sont perpétuellement proches du burn-out... Il y a des maisons avec dix collections à l’année. Avant, on avait six mois pour faire une collection, maintenant on a parfois trois semaines. Je ne citerai pas de noms, mais j’ai par exemple reçu des choses hier (vendredi) à faire pour dimanche, c'est-à-dire pour demain soir. Je ne supporte plus ces rythmes. Je suis aussi effrayé par l’idée de surexploitation, de faire travailler à l’autre bout du monde des gens qui sont sous-payés. Je comprends aussi que le client n’ait pas forcément les moyens d’aller s’acheter un pantalon chez Comme des Garçons. Mais derrière tout ça, la réalité est monstrueuse, qu’elle soit écologique ou humaine. 


R : En parcourant la presse et les réseaux sociaux, on a cependant l’impression qu’un mouvement inverse s'est enclenché. Récemment, Glenn Martens, directeur créatif chez Y/Project, a décidé de ne plus suivre le rythme intense du calendrier officiel du prêt-à-porter pour ne présenter que deux défilés par an. Qu’en pensez-vous ?


MG : Oui, de plus en plus de gens sortent du « calendrier officiel ». En plus chez Y/project ils ont vraiment des coupes très poussées, c’est très créatif, je peux comprendre que Glenn Martens ait envie de prendre le temps de faire les choses.

Découverte de la première toile de la Chemise en Popeline.

R : De votre côté, quel vêtement préférez-vous travailler ?


MG : J'aime énormément travailler la chemise. J’en ai fait beaucoup pendant des années. Après, le pantalon est une pièce un peu plus difficile, le travail d’adaptation aux différentes morphologies demande encore davantage de recherches. Tandis que pour un manteau oversize, par exemple, il est évident que ça peut convenir à beaucoup plus de corps, c’est plus facile.


R : Vous avez justement travaillé sur la chemise en popeline de RÉUNI. Quel était le brief d’Alice et Adrien ?


MG : La base du brief c’était de garder un esprit masculin, l’idée qu’une femme aurait pu prendre la chemise de son homme mais avec le challenge d’amener de la féminité dans cette masculinité. Sur ce volume, qui n’est pas trop près du corps mais pas trop large non plus, on a fait une patte de boutonnage travaillée. Alice a fait des recherches, elle s’est documentée, elle a travaillé avec Julien qui fait du vintage… Et puis, à un moment, on se retrouve tous ensemble, on met tout sur la table et c’est ce qui est intéressant. Cette petite patte va ensuite amener une certaine féminité, quelque chose de différent.


« J’ai désacralisé le vêtement et ça m’a fait du bien. »


R : Dans votre carrière, y a-t-il un challenge dont vous vous souvenez ?


MG : J’ai commencé comme petite main en haute couture, je montais les modèles. J’ai également travaillé en intérim, je passais alors de maisons en maisons mais je retournais souvent chez John Galliano, dans sa maison, et aussi chez Dior, chez qui il était directeur artistique. Là il y avait de vrais challenges de montage par rapport aux matières : j’ai par exemple monté des tailleurs en rafia.


J’ai aussi été chef d'atelier chez Jean Colonna. Ça a été une expérience très marquante pour moi. C’est quelqu’un qui m’a donné ma chance. Je suis d’abord rentré chez lui pour faire des créations textiles et il m’a appelé pour une seconde collection en me disant « j’aime votre travail, j’aime votre attitude, on s’entend bien » — car c’est vrai qu’il y a une vraie question de feeling avec les stylistes. Du coup, je suis passé chef d’atelier très jeune. Là, il y avait énormément de challenges et aussi une pression énorme. J’avoue que chez Jean Colonna je me suis beaucoup remis en question. Il est pour moi une figure emblématique de la mode. J’ai aimé faire des jupes en scotch, j’ai aimé détruire des vêtements, car je faisais parfois des vestes tailleur que je découpais en lamelles pour ensuite les recoudre ensemble. Jean Colonna, c’est quelqu’un avec qui, d’un seul coup, je n’ai plus eu peur, j’ai désacralisé le vêtement et ça m’a fait du bien. C’est ce qui fait qu’à présent, lors d’un essayage, je ne crains pas de prendre mes ciseaux et de couper dans le vêtement. Jean Colonna est sûrement la personne dans ma vie qui m'a beaucoup fait avancer et fait voir le vêtement d’une façon différente.


R : Cette histoire de déconstruction rappelle l’approche des stylistes japonais au début des années 1980. Cette école-là vous parle-t-elle ?


MG : Oui, complètement. Rei Kawakubo avec Comme des Garçons notamment... Des choses qui pourraient paraître parfois très farfelues mais faites par des gens qui connaissent parfaitement les archétypes de base, les choses classiques. Je pense que c’est le chemin nécessaire pour pouvoir déconstruire. Il faut connaître parfaitement les bases classiques pour en faire quelque chose qui ne le soit plus du tout à la fin.

R : Parlons technique. En France, est-ce que parmi les figures connues des grandes maisons de couture parisiennes, l’une d’elles se démarque par l’expression de sa technique, comme Azzedine Alaïa pouvait le faire par exemple ? Où pensez-vous que la technique se perd ?


MG : C’est vrai que la technique a beaucoup évolué. La mode, de manière générale, est devenue beaucoup plus industrialisable. Il serait difficile à notre époque de reproduire des pièces emblématiques 40 ou 50 par exemple, où certaines parties du vêtements sont entièrement au fer en biais.


R : Pourriez-vous détailler la fonction d’un retoucheur sur des shootings ?


MG : J’adapte la garde-robe au mannequin pour des campagnes de pub ou des lookbooks. Je collabore dans ce cadre-là avec des stylistes comme Charlotte Collet ou Leïla Smara. J’ai par exemple travaillé pour la collection Croisière Chanel de l’été dernier qui était très intéressante. En faisant ce travail, on côtoie des talents remarquables. Chez Chanel Haute Couture on peut dire qu’il y a vraiment une technicité dans le détail, tous les petits galons tissés-main notamment. Chanel est quand même une maison qui a sauvé les métiers d’art [Chanel a acquis en 1985 plus de trente maisons et manufactures de mode, ndlr] et il n’y a plus beaucoup de maisons qui peuvent se permettre d’avoir autant de broderies ou de choses faites « mains ». S’ils n’avaient pas été là, je pense que beaucoup de choses auraient disparu.


R : Pour en revenir à RÉUNI, Alice et Adrien sont passés par le Studio Berçot, là où vous enseignez. Quels élèves étaient-ils ?


MG : J’ai eu Adrien, Alice était avec ma collègue, mais j’ai vu leurs travaux à tous les deux. C’était dès le début des gens déterminés, passionnés, qui savaient ce dont ils avaient envie. Ce n’était pas des élèves que j’avais besoin d’aller chercher pour les rappeler au travail. Ce qui est drôle c’est que 80 pour cent de mon activité fonctionnent avec des anciens élèves.


R : Vous leur laissez donc un bon souvenir…


MG : Apparemment [rire].


R : Adrien dit que lorsqu’il suivait vos cours, il se souvient qu’il voyait souvent défiler vos clients dans l’atelier. Ça l’impressionnait beaucoup et c’est ce qui lui a donné envie de devenir à son tour votre client.


MG : J’ai une énorme chance avec le Studio Berçot. C’est une école très ouverte et qui n’est pas classique. Je peux avoir la présence d’une assistante qui travaille pour mes clients et je trouve génial pour mes élèves de voir des vêtements sur des mannequins qui vont sortir dans les prochaines saisons. Je peux d’ailleurs souvent les associer à mon travail, il m’arrive de leur faire essayer des vêtements, ou de leur demander leur avis. Ce ne sont pas des cours scolaires, les choses ne sont pas du tout fermées. Le Studio Berçot est une entreprise familiale et ils m’ont fait comprendre que j’en faisais partie, que je suis ici chez moi.

«J’aime cette idée en fin de compte, celle de ne pas avoir tout tout de suite, cela donne des aspérités. Il faut se réjouir de ne pas tout avoir.»

Michael dans son atelier, entouré de ses milles et un projets. 

Portrait et interview réalisés par Julia Garel pour RÉUNI

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